Déréglementer encore plus les temps de repos communs

« Il n’est pas sérieusement contestable que la fermeture des magasins le week-end entravait la venue de touristes étrangers ou les conduisait à abréger leur séjour » : cette phrase, extraite du rapport réalisé dans le cadre de la « Mission d’évaluation de la loi Loi Macron » est l’œuvre de Fadila Khattabi, députée LREM de la Côte-d’Or et Gilles Lurton, député LR de l’Ille-et-Vilaine. Elle suffit à planter le décor : des affirmations, pas de chiffres et pas de bilan. Et des préconisations : déréglementer encore plus les temps de repos communs.

Pourtant, nul n’a jamais vu ces wagons entiers de trains, bondés de touristes, qui quitteraient Paris le dimanche pour aller en shopping à Londres ou Milan. Et les rapporteurs semblent ignorer que les principaux promoteurs de l’ouverture des commerces le dimanche et la nuit affichent des bilans économiques et sociaux piteux.

Pas d’emplois créés

Ils ne semblent attacher aucune importance au fait que les Galeries Lafayette Haussmann, bien loin de leurs déclarations médiatiques, ont réalisé en 2017, année où elles ont ouvert le dimanche, un chiffre d’affaires total inférieur à celui de 2015, année où elles fermaient le dimanche.
Ou que les chiffres réalisés avec les touristes étrangers subissent la même tendance. Et qu’importe que leur solde net d’embauche pour l’année 2017 se chiffre à… 74 ?
Ou que la même tendance soit remarquée au BHV Marais qui emploie moins de salariés et réalise moins de chiffre d’affaires en 2016 qu’en… 2012 ?
Ou encore que le célèbre magasin du quartier de l’Hôtel de Ville annonce un résultat déficitaire de près de deux millions d’euros en 2016, du fait d’une « augmentation du coût d’exploitation lié à l’ouverture dominicale » ? Le fait que sur l’ensemble des ZTI où elle ouvre des magasins le dimanche, la Fnac ait créé moins de 70 emplois émeut-il les rapporteurs ?

Les grandes enseignes ont refusé de communiquer ces chiffres à l’APUR, chargée par la Ville de Paris de réaliser une étude sur l’impact de la Loi Macron. Et les co-rapporteurs reprennent à leur compte des plaquettes de communication qui ne sont corroborées par aucune donnée vérifiable.

De la com’ en guise d’arguments

Pour justifier les ouvertures du dimanche et de la nuit, l’on nous brandit la concurrence de la vente sur internet. Ils omettent de préciser que ceux qui veulent déréglementer les temps de repos des salariés du commerce au motif de « la concurrence d’internet » sont eux-mêmes opérateurs ou alliés des grands noms de la vente en ligne et que ce sont les mêmes qui ont causé la disparition du commerce indépendant de nos centres-villes.
Nous avons toujours affirmé que la création de zones particulières, dans lesquelles le travail du dimanche et la nuit serait autorisé, allait entraîner une pression de tous les commerces en lisière, soumis à une concurrence déloyale. Et nous avons indiqué avant même l’adoption de la « loi Macron » que ces mesures « limitées » étaient, de fait, le prélude à une déréglementation généralisée.

Ainsi, l’on continue de favoriser une course effrénée à la surconsommation de biens et d’énergie, alors que l’on prétendait augmenter les taxes sur le carburant « pour protéger la planète ». Et l’on détruit les temps de repos communs, dans une société de plus en plus fragmentée et fracturée.

Quant au sort des femmes et des hommes employés dans le commerce, sous-payés et surexploités, à l’heure où certaines enseignes réclament déjà la fin des contreparties au travail le dimanche et la nuit, il ne semble pas émouvoir les rapporteurs. Et peu importe à leurs yeux que le patronat français, toujours prompt à stigmatiser le « coût du travail », ne soit pas prêt à majorer durablement le travail du dimanche et de la nuit. Pire encore : il veut se saisir de la banalisation des horaires atypiques pour retirer toute justification à ces majorations.

Une représentation nationale… au service d’intérêts particuliers !

 Nous avons indiqué aux co-rapporteurs les difficultés que nous avions, ainsi que les inspecteurs du travail, à faire respecter la législation.
En réponse, ils préconisent que ces derniers préviennent gentiment les entreprises avant de prendre des sanctions. Imagine-t-on la même mansuétude pour les contrevenants au code de la route ?

Nous leur avons rappelé que la santé et la sécurité des travailleurs de nuit étaient protégés jusque là par le code du travail. Nous leur avons expliqué que la loi réserve ce travail à des activités indispensables, en raison de son impact sur l’augmentation de la fréquence de certaines maladies, notamment le cancer du sein.

Nous avons insisté sur les nombreuses décisions de justice qui ont rappelé que le travail de nuit doit rester exceptionnel et que l’on ne peut y recourir qu’en raison d’impératifs sociaux ou économiques. Ou que les juges condamnent régulièrement de grands groupes qui ne respectent pas les nouvelles lois qu’ils ont, pourtant, contribué à faire voter.

Le dernier en date, Monoprix (groupe Casino), vient d’être condamné à l’initiative du Clic-P à ne plus employer de salariés après 21 heures à Paris. Immédiatement, les co-rapporteurs de la Mission d’évaluation nous ont convoqués pour parler de cette enseigne en particulier ! Dans le questionnaire qu’ils nous ont adressé avant de nous recevoir, ils nous ont benoîtement demandé «si le juge judiciaire (était) en mesure d’évaluer lors d’un référé l’intérêt social et économique de l’ouverture en soirée».

La crise politique majeure qui est en cours est aussi le produit de la transformation de l’Assemblée Nationale en bureau de satisfaction des revendications du MEDEF. Pour notre part, nous continuerons de combattre ces dérives. Dans l’intérêt des salariés du commerce… et pour l’intérêt général !